"Je salue fraternellement toutes les victimes d'actes odieux qui ont pu se sentir agressées par cette tribune parue dans le Monde, c’est à elles et à elles seules que je présente mes excuses", écrit Catherine Deneuve dans une lettre publiée par le quotidien Libération sur son site internet.
La tribune parue mardi dans Le Monde défend "la liberté d'importuner" pour les hommes, l'estimant "indispensable à la liberté sexuelle" à contre-courant de l'élan né de l'affaire Weinstein. Si le texte était signé par une centaine de femmes, c'est la plus célèbre de ses signataires qui a concentré les critiques.
L'actrice Asia Argento, qui a accusé le producteur américain Harvey Weinstein de l'avoir violée avait notamment fustigé :
Catherine Deneuve et d’autres femmes françaises racontent au monde comment leur misogynie intériorisée les a lobotomisées au point de non-retour.
Catherine Deneuve, qui s'exprime pour la première fois depuis la parution de la tribune, explique :
J'ai effectivement signé la pétition (...). Oui, j'aime la liberté. Je n'aime pas cette caractéristique de notre époque où chacun se sent le droit de juger, d'arbitrer, de condamner. Une époque où de simples dénonciations sur réseaux sociaux engendrent punition, démission, et parfois et souvent lynchage médiatique. (...) Je n’excuse rien. Je ne tranche pas sur la culpabilité de ces hommes car je ne suis pas qualifiée pour. Et peu le sont.
Et d'ajouter :
Il y a, je ne suis pas candide, bien plus d’hommes qui sont sujets à ces comportements que de femmes. Mais en quoi ce hashtag (#Balancetonporc, ndlr) n'est-il pas une invitation à la délation ? Va-t-on brûler Sade en Pléiade? Désigner Léonard de Vinci comme un artiste pédophile et effacer ses toiles? Décrocher les Gauguin des musées? Détruire les dessins d'Egon Schiele? Interdire les disques de Phil Spector? Ce climat de censure me laisse sans voix et inquiète pour l'avenir de nos sociétés.
Avant cette tribune, l'actrice s'était déjà attiré les foudres de féministes en soutenant Roman Polanski, accusé de viol, un réalisateur avec qui elle tourna "Répulsion".
"Je ne suis pas dupe"
Rappelant son engagement féministe à l'époque de la signature du manifeste des "343 salopes", revendiquant en 1971 un avortement alors criminalisé, Deneuve se désolidarise toutefois des propos tenus par certaines de ses co-signataires :
Dire sur une chaîne de télé qu’on peut jouir lors d'un viol est pire qu'un crachat au visage de toutes celles qui ont subi ce crime.
Une référence à des déclarations de l'animatrice de radio et ancienne star du porno Brigitte Lahaie.
Deneuve, qui confie avoir été durant sa carrière "témoin de situations plus qu'indélicates", assure :
Evidemment rien dans le texte ne prétend que le harcèlement a du bon, sans quoi je ne l'aurais pas signé.
Mais pour elle, "la solution viendra de l’éducation de nos garçons comme de nos filles. Mais aussi éventuellement de protocoles dans les entreprises, qui induisent que s’il y a harcèlement, des poursuites soient immédiatement engagées", car elle croit "en la justice".
Les rédactrices de la tribune co-signée par l'actrice, Sarah Chiche, Catherine Millet, Catherine Robbe-Grillet, Peggy Sastre et Abnousse Shalmani, ont salué le texte de Catherine Deneuve, qui "réaffirme la nécessité de préserver la liberté sexuelle et de combattre le lynchage médiatique" et souligne que leur tribune "ne prétend pas que le harcèlement ait du bon".
La réponse de Deneuve, attendue ce lundi à Angers (ouest) au festival "Premiers plans", où elle préside le jury, était guettée après les nombreuses réactions cette semaine en France comme à l'étranger.
En France, la tribune avait été critiquée par des militantes féministes et de personnalités politiques.
En Italie, l'ancien chef du gouvernement Silvio Berlusconi, dont le goût pour les jeunes femmes lui a valu d'être impliqué dans une affaire de prostitution de mineure, a au contraire salué ce texte.
L'actrice précise :
Je voudrais dire aux conservateurs, racistes et traditionalistes de tout poil qui ont trouvé stratégique de m'apporter leur soutien que je ne suis pas dupe. Ils n'auront ni ma gratitude ni mon amitié, bien au contraire.
Le Monde a lui aussi justifié ce week-end dans ses colonnes la publication de la tribune, au nom de la "défense du pluralisme des idées".
La romancière canadienne Margaret Atwood, auteur de "La Servante écarlate", s'est également expliqué dimanche après avoir soulevé de vives critiques à la suite d'une chronique où elle argumentait que le mouvement #Metoo est le reflet d'une justice qui ne fonctionne pas.
Ainsi, elle écrit :
La condamnation sans procès, c'est le début de la réponse à un manque de justice, que le système soit corrompu comme dans la période pré-révolutionnaire en France, ou qu'il n'y en ait simplement pas comme au Far West, alors les populations prennent elles-mêmes les choses en mains.